it's all so quiet. (isobel)

aux petites heures du matin tu sembles toujours laisser dans l'air un parfum de tranquillité. ton ballot dans les bras, tu longes les couloirs enfin désertés de cet endroit insalubre, tes pas feutrés et discrets contre ces parquets craquants et poussiéreux. tu n'aimes le lieu que dans ces conditions, vidé de son essence, de ses clients fantômes, de ses bruits étranges, seulement parcouru de ronflements tranquilles et d'une sorte de douce mélodie de la nuit. la blanchisserie de l'hotel Blanche, dont tu viens de passer la porte, n'a de blanc que le nom. c'est une pièce sans fenêtres, à demi enterrée, aux murs jaunis par la cigarette que les femmes s'obstinent à y fumer. de grands bacs salis laissent entrevoir aux clients la possibilité de laver leur linge, si tenté que l'on y trouve un petit bout de savon noir pas trop usé. tu viens toujours avec le tien, nancy : il n'a jamais été question de partager avec les autres clients quoi que ce soit que tu aies acheté de tes propres sous. ils sont trop rares, trop salis de toutes ces nuits à danser et combler le vide : ton argent est impur, impropre comme ce linge que tu laisses tomber dans l'eau chaude. ton visage est usé, fatigué alors qu'il se lève à peine sur la nouvelle orléans une nouvelle journée. d'ici ce soir, ta vie sera longue et sans issue : ton linge propre, tu remonteras à ta chambre pour l'étendre, laissera passer les heures dans les pages d'un livre que tu auras déjà lu. très vite, trop vite il sera temps pour toi de rejoindre, au coeur d'une soirée qui bat son plein, les scènes et les salons du Body and Soul. pour le moment, les deux mains agrippées à une robe passée de mode, tu frottes comme si ta vie en dépendait un peu.

L'odeur âcre du savon bon marché pénètre tout, des tissus aux mains qui les frottent sans cesse. Ce matin, comme tous les jours, Isobel se réveille dans sa petite chambre sous les combles de l'Hôtel Blanche, et c'est cette odeur qui est la première à traverser ses narines alors qu'elle ouvre les paupières. Il est six heures du matin, et la lumière jaune du soleil matinal perce à travers les fenêtres sales. Elle s'habille lentement, épuisée de la soirée de la veille, mais elle n'a pas le choix : il est temps pour elle de s'atteler à l'une de ses tâches quotidiennes. Chambre après chambre, Isobel défait draps et taies d'oreillers, qu'elle empile hasardeusement dans un grand panier qu'elle traîne de pièce en pièce. Elle dévale ainsi tous les étages de l'hôtel, avant d'arriver à la blanchisserie, où elle va s'acquitter du lavage de l'ensemble des bouts de tissus collectés. C'est un moment qu'elle, qui n'a pourtant que peu d'estime pour le travail manuel, a appris à aimer. Dans la pénombre de cette pièce sans fenêtres, elle est seule, les mains plongées dans l'eau chaude, et les effluves de savon sont partout, d'abord trop présentes, jusqu'à ce qu'on finisse par les oublier. C'est son moment à elle, Isobel, celui où elle n'est plus qu'elle-même, face à une tâche laborieuse comme elle les a si bien esquivées jusqu'à aujourd'hui. Le prix à payer pour le luxe auquel elle aspire.

Mais aujourd'hui, les choses semblent différentes, car lorsqu'elle entre dans la pièce exiguë les bras chargés des draps encore chauds des hôtes de la nuit, elle ne trouve pas le silence religieux qui lui plaît tant, mais bien le regard interloqué d'une inconnue.

« Bonjour, » dit Isobel dans un souffle que l'on n'entend qu'avec peine. Elle n'a pas pour habitude de croiser quelqu'un ici, et s'interroge. « Tu es nouvelle ici ? »